Des idées pour des objets narrateurs | de Alessandra Coppa

La recherche sur l’objet d’usage quotidien devient pour Giulio Iacchetti une occasion de réinventer ou de définir de nouvelles typologies. Lorsqu’il démarre le projet d’un objet, il commence par se poser des questions, puis il se concentre sur l’idée pour réaliser des formes concrètes et fonctionnelles, mais toujours pleines de valeurs symboliques.

L’expérimentation de G. Iacchetti va plus loin que les formes et les matériaux, elle se concentre sur le sens des objets, bien au-delà de leur fonction. Souvent, un indice de cette approche se cache dans leur nom ou dans leur relation dans un contexte défini.

Giulio Iacchetti est protagoniste au CERSAIE 2017 : il signe l’aménagement des pavillons dédiés à l’équipement bain.

Comment êtes-vous devenu designer ?

Mes débuts sont empreints d’une sorte d’attitude très naïve vis-à-vis du design : je suis arrivé à cette profession en autodidacte et, au début, je ne faisais que transférer mes idées sur des maquettes et des prototypes que je créais et que je proposais aux entreprises de manière impromptue. Avec le temps, j’ai perfectionné ma technique pour approcher les nouveaux clients hypothétiques, mais, en substance, j’agis encore très souvent comme cela. En observant mon expérience, je saisis une sorte de proximité avec des maîtres comme Enzo Mari et Aldo Rossi. J’ai toujours essayé de comprendre les objets de Mari et de comprendre comment il arrivait à générer des solutions conceptuelles en affrontant une typologie. Je filtrais son enseignement en prenant directement ses objets. Je tenais à les avoir physiquement, sans aucune médiation vidéo ou photo, parce qu’ils émettent des réverbérations très puissantes de connaissance et de solutions. Cette approche de Mari, très sévère, intensive, qui ne permet pas de distractions par rapport à la solution formelle des produits, est contrebalancée par l’attitude beaucoup plus souple d’Aldo Rossi, dont j’admire la capacité de concevoir des objets d’usage commun, non pas via l’approche fonctionnaliste, mais en référence à l’archétype, à des formes qui sont déjà inconsciemment dans notre mémoire. Son enseignement réside dans l’aller au-delà du rapport forme-fonction et à suggérer la forme des objets comme une sorte de nouvelle approche, même à travers des contraintes qui restent toujours dans notre cœur. Ses rares objets sont tous emblématiques et, surtout, ils connaissent un grand succès mondial.

Quel a été le premier objet de votre création qui a été mis en production ?

Une poignée. C’était le thème final d’un cours de formation auquel j’avais participé. J’ai proposé la maquette en bois incurvé à une entreprise qui l’a mise en production. Cette expérience m’a marqué à jamais et j’ai compris quelle serait ma profession.

Il me semble que vos projets mettent l’idée en forme, que votre raisonnement est toujours fondé sur l’action méthodologique du doute. Je crois qu’ils sont fondés sur la mise en discussion critique que vous affrontez chaque fois avant de commencer à créer un objet.

Une fois, vous avez dit que vous laissiez émerger l’idée, qu’est-ce que cela veut dire ?

Le projet est un parcours, le résultat d’un processus. Nous, les designers, nous affrontons des typologies qui ont déjà été abordées et interprétées de mille façons. Que dire de plus ? Avant tout, il faut retrouver un sens. Se demander le pourquoi de la chose, ne pas foncer tête baissée pour créer des formes plus ou moins abstraites, plus ou moins adhérentes à la solution gestuelle, mais se donner comme objectif n°1 le pourquoi nous agissons, le sens plus qu’une méthode.

Il y a toujours une nouvelle manière de faire une chose, mais il faut la découvrir, alors pour donner une contribution conceptuelle authentique au monde des objets existants, on avance par tentatives, de manière à faire émerger l’idée. Parce que le projet existe déjà, mais il faut y arriver et c’est un travail de recherche en profondeur. Au fil du temps, elle émerge, tout ce qui a de la valeur remonte à la surface. Le bruit, la saleté, l’inutile, la complexité, les signes redondants disparaissent et, dans le meilleur des cas, il ne reste que l’idée. Mais pour arriver à l’idée, il faut remuer le fond, s’interroger, essayer d’autres voies, se tromper.

Et après l’idée, des objets narrateurs ?

On dirait que nous venons d’inventer la théorie selon laquelle les objets sont porteurs d’une histoire. Mais les objets ont toujours raconté des histoires, de la Pierre de Rosette à l’arrosoir, parce que, derrière, il y a toujours l’idée du concepteur qui arrive jusqu’à nous.

Quand je vois un objet bien conçu, même s’il a mille ans, je suis ému comme si j’étais devant une belle poésie ou une œuvre d’art. L’objet est toujours capable d’établir un dialogue avec l’utilisateur.

Je pense que la narration appartient à tous les objets. Tous les objets sont capables de raconter des histoires complexes, simples, banales ou sublimes.

La véritable question n’est pas de savoir si les objets sont porteurs d’une histoire, mais si nous les écoutons. Un objet raconte une histoire qui, naturellement, peut être comprise à plusieurs niveaux, selon la capacité de l’auditeur. Par exemple, la cafetière de Rossi, faite comme le dôme de Novare, a certainement une histoire immédiatement compréhensible, qui est celle de la réduction à l’échelle de la coupole d’Antonelli en forme de cafetière. Cette petite cafetière, extraite d’un paysage urbain et insérée dans notre micro-paysage domestique, va influencer le rapport avec les autres objets qui peuplent une cuisine et elle va raconter d’autres histoires, d’harmonies et d’équilibres, de proximité et d’éloignement.

Racontez-nous une histoire que vous jugez emblématique, pour nous faire comprendre ce que vous entendez par design !

Je finis toujours par parler du bac à glaçons Lingotto per Guzzini, parce qu’il contient beaucoup de petites histoires auxquelles je suis attaché. Il s’agissait de dessiner un objet lié à l’eau, en considérant sa valeur comme un bien indispensable et universel. J’ai donc réalisé un bac à glaçons qui, au lieu de former des cubes d’eau glacée, produisait de petits lingots portant l’inscription GOLD.

Et le lingot, qui était un simple bac à glaçons en silicone, est devenu un outil qui fait méditer.

Avec le Lingot, je suggère une réflexion sur la valeur de l’eau, sans vouloir jouer les moralisateurs. Le Lingot ne vous oblige pas à utiliser moins d’eau, il se limite à produire des glaçons en forme de lingots à la place des cubes classiques. Chaque lingot porte l’inscription GOLD en relief et ce mot renvoie à l’eau entant que bien précieux à ne pas gaspiller.

Ce petit prototype né pour une exposition est ensuite devenu un produit de grande consommation. Ainsi, le cercle s’est refermé, par rapport à cette petite expérience, en fonction aussi d’un fait politique, car j’estime que les objets en font partie.

Voulez-vous dire que, dans vos les projets, vous vous référez toujours à la valeur ‘démocratique’ des objets ?

Avant tout, il faut voir ce que nous entendons par ‘objets démocratiques’ : moi, j’entends ‘des objets que tout le monde peut comprendre’ et non des objets hermétiques et nombrilistes qui nous obligent à nous demander de quoi il s’agit ou dont la forme ne peut être interprétée qu’avec une certaine approche intellectuelle. Pour moi, l’objet doit être direct, il doit atteindre toutes les personnes – c’est, à mon avis, un aspect de la participation élargie, une démocratie. Naturellement, l’idéal serait que le prix au public aussi puisse exprimer cette volonté. Nous n’y parvenons pas toujours et malheureusement le design est souvent associé au luxe et à l’exclusivité. Nous devons cependant savoir convaincre de la valeur d’un objet, quand il est coûteux parce qu’il est bien fait et qu’il durera longtemps.

Avez-vous travaillé pour des entreprises du secteur céramique et équipement bain ?

J’ai collaboré avec Globo, qui fait des sanitaires, et IB Rubinetterie, et j’ai récemment dessiné une collection de carreaux pour Refin. Avec Refin, nous avons étudié un décor géométrique permettant une combinaison extrêmement variable d’éléments graphiques de grand effet. Ce projet nous a passionnés : il s’appelle Labyrinth, parce qu’il crée une texture très prenante et infiniment variable.

Pour le Cersaie, j’ai pensé à un restyling des pavillons de secteur bain. Comme ils vont être remplacés, je suis intervenu, pour la dernière année, pour les rénover et en rendre la visite plus attrayante. J’ai redéfini les murs extérieurs avec un minimum d’intervention mais de grand impact : une sorte de couverture flexible brillante qui évoque le flux de l’eau. Puis nous avons dessiné une texture particulière pour la moquette qui couvrira les cheminements, afin d’obtenir une surface horizontale plus élégante et plus exclusive.

BIOGRAPHIE

Giulio Iacchetti, designer industriel depuis 1992, crée pour plusieurs marques, dont Abet Laminati, Alessi, Artemide, Ceramiche Refin, Danese, Fontana Arte, Foscarini, Magis, Moleskine et Pandora design. Son travail est caractérisé par la recherche et la définition de nouvelles typologies d’objets, comme le couvert multifonctions biodégradable Moscardino, dessiné avec Matteo Ragni pour Pandora design et lauréat en 2001 du Compas d’or. En 2009, il reçoit le Prix des Prix de l’innovation, décerné par le président de la République italienne pour le projet Eureka Coop, grâce auquel il fait entrer le design dans la GDO. En mai 2009, la Triennale de Milan accueille son exposition personnelle intitulée « Giulio Iacchetti. Objets désobéissants ». Attentif depuis toujours à l’évolution du rapport entre l’artisanat et le design, en novembre 2012 il lance Internoitaliano, l’« usine diffuse », faite de nombreux ateliers artisanaux avec lesquels il signe et produit du mobilier et des accessoires inspirés du mode de vie italien.

Parallèlement, il poursuit sa recherche personnelle vers de nouveaux thèmes conceptuels, comme celui de la croix qui a donné vie à l’exposition Cruciale qui s’est tenue au Musée Diocésain de Milan, dans la Basilique de Santo Stefano Rotondo à Rome et au château de Lombardie à Enna. En revanche, avec l’expo « Razione K, le repas du soldat en action », produite par la Triennale de Milan en janvier 2015, il réfléchit sur l’essentialité et la conceptualité du design anonyme lié à la nourriture.

En 2014, il remporte son deuxième Compas d’or pour Sfera, une série de plaques d’égout dessinée avec Matteo Ragni pour Montini.